Le CLEPT, 5 ans après
Le C.L.E.P.T. (Collège Lycée Elitaire Pour Tous) enrichit depuis septembre 2000 l’offre scolaire de l’académie de Grenoble.
Il s’adresse à des jeunes qui, un jour, n’ont plus voulu de l’école parce qu’il leur semblait que l’école ne voulait plus d’eux mais qui, pourtant, après des temps d’errance plus ou moins longs (de 6 mois à 4 ans) ont admis qu’ils n’en avaient pas fini avec « Apprendre », qu’il leur fallait rompre leur isolement et qu’ils souhaitaient construire leur devenir par un retour en scolarité diplômante.
Etablissement public de l’éducation Nationale, le CLEPT est chargé d’accueillir et de rescolariser ces jeunes que l’on désigne souvent par le terme de « décrocheurs ».
Sous statut expérimental, cette structure alternative permet depuis 5 ans aux 90 jeunes qui constituent son effectif maximum (renouvelé par moitié chaque année) de renouer avec des savoirs émancipateurs, avec ces gratifications narcissiques que procurent : d’abord des résultats prometteurs, puis des réussites aux examens et enfin des poursuites d’études (post brevet ou post Bac) vraiment choisies.
Le CLEPT, aujourd’hui, comme hier, refuse la fatalité de l’échec. Il refuse d’admettre l’inéluctabilité des chiffres qui s’imposent au regard quand on renonce à la myopie élitiste :
– 150 000 jeunes quittent chaque année le système éducatif sans diplôme
– 37 % d’une génération accède à l’enseignement supérieur (moyenne OCDE : 51 %, USA : 64 %)
– 60 %, seulement, des entrants dans les enseignements supérieurs obtiennent un diplôme (92% au Japon, 78 % en Espagne, 70 % en Allemagne et aux Pays Bas)
– Et quels chiffres pourraient rendre compte au plus près du nombre d’élèves encore scolarisés qui miment l’apprentissage, qui font semblant, qui peinent à jouer le jeu, qui se plient douloureusement à des logiques qui leur restent opaques ou qui, happés par un sentiment de déni, se muent en empêcheurs de faire la classe en rond ?
Si aujourd’hui la quasi totalité des élèves du CLEPT de niveau fin de collège qui passent le Brevet l’obtiennent, si le taux de réussite aux baccalauréat que les lycéens affrontent (S/ES/L) est plutôt flatteur compte tenu qu’il s’agit de « repris de justesse » qui se vivaient comme des laissés pour compte de l’égalité des chances : 9 sur 16 en 2003 (année de la première promotion), 18 sur 21 en 2004 (avec quelques mentions), 14 sur 19 en 2005… il serait abusif de croire que l’inscription de cet établissement innovant dans le paysage éducatif institutionnel se réalisa sous les meilleurs auspices.
Ainsi, depuis septembre 1996 (date importante qui vit le recteur d’alors confier aux deux concepteurs du projet une mission d’un an : « Mener l’étude de faisabilité d’un dispositif d’accueil pour lycéens en rupture scolaire »), 5 recteurs se sont succédés à la tête de l’académie de Grenoble. Durant la même période les co-fondateurs du CLEPT eurent l’occasion de mettre à l’épreuve leur force de conviction auprès de 6 Ministres différents. Depuis sa première rentrée, le CLEPT – auquel son statut expérimental fait obligation d’être rattaché administrativement à un E.P.L.E. voisin – fut placé sous la responsabilité de 3 proviseurs successifs en 5 ans. Né d’une triple volonté : celle du Ministre Jack Lang, celle d’une Rectrice, Mme Pumain, celle des concepteurs/fondateurs du projet fédérés au sein d’une association La Bouture ; le CLEPT bénéficia initialement d’une double tutelle Ministérielle (nationale) et Rectorale (locale). Après le bref intermède du C.N.I.R.S., il se trouve aujourd’hui piloté par la seule autorité Académique.
Dès le début, cette démarche enthousiaste et volontariste qui cherchait à donner corps au projet politique énoncé par Claude Allègre : « L’école doit être son propre recours. », rencontra beaucoup de scepticisme.
Les cassandres prédisaient que le CLEPT ne réussirait pas à recruter un effectif complet de décrocheurs, qu’il surestimait la demande (il refuse – hélas – par manque de place chaque année des inscriptions nombreuses).
Les mauvais augures affirmaient que l’équipe pédagogique aurait du mal à se constituer et encore plus à se renouveler sur la base du volontariat, compte tenu du fait que le service hebdomadaire au CLEPT est de 24 heures (12 heures d’enseignement/ 12 heures de prise en charge de toutes les autres tâches – car il n’y a que des enseignants au CLEPT : pas de secrétaire, de concierge, de surveillants, de CPE, de documentaliste) et 2 heures de recherches actions afin d’essaimer, de transférer les « bonnes pratiques » initiées. Or, recruter des collègues par le biais de la procédure PEP 3 (postes à exigences particulières de type 3) ne pose aucun problème, beaucoup d’enseignants intéressés envoyant même des candidatures spontanées alors que les postes ne sont pas à pourvoir.
Enfin, les esprits chagrins stigmatisaient l’exigence irréaliste ou la démagogie d’un projet qui prétendait n’offrir que des bacs d’enseignements généraux (« élitaire » [1] est inscrit au fronton de la structure) à des jeunes dont le passif scolaire était lourd. Les résultats signalés un peu plus haut, éclairés par ceux, importants aussi, concernant leurs devenirs dans le post-CLEPT, font pièce à ces méfiances a priori.
Enseignants et militants pédagogiques ne souscrivant à aucune chapelle labellisée, ceux que les médias désignent par le terme « innovateurs » ne revendiquent – parmi d’autres agissant ailleurs – qu’un fait d’arme relatif : s’être autorisés à proposer ce qui leur apparaissait comme des améliorations du fonctionnement de « la machine école ».
Chaînon manquant, le CLEPT ne se substitue pas à des instances en vigueur (classes relais/ MGI/ pôles relais…), il n’a pas vocation à circonscrire les problèmes posés par ceux que des spécialistes espagnols appellent « les objecteurs scolaires » dans une poche de fixation.
Il s’agit de défricher des pistes, d’expérimenter, d’investir des marges pour différencier et faciliter dans leurs pratiques : démocratisation de l’accès à l’école (instituant), démocratisation de l’accès au savoir (émancipateur), démocratisation de l’accès à la réussite (ascenseur social).
Leur vertu première est de refuser le statu quo, de dresser sans complaisance le bilan de leur expérience afin d’en extrapoler de possibles transferts à tout ou partie du système scolaire.
L’offre alternative du CLEPT rapidement déclinée « joue » sur :
– Une réflexion pédagogique qui donne un statut à l’erreur – marche pied, levier nécessaire pour comprendre (s’approprier ; prendre et faire sien) comme dans une démarche scientifique (essai/ erreur/ avancée épistémologique) et non plus marqueur, symptôme de lacunes pénalisables.
– Une approche transdisciplinaire, qui interroge les pratiques de chacun incitant à « descendre de vélo pour se regarder pédaler », comme moyen d’auto-formation de la recherche-action. Du point de vue des élèves, il s’agit de décloisonner le savoir des cases où il est rangé pour rappeler que le réel est complexe et appréhendable de différents points de vue. Ainsi, chaque discipline propose un regard et une réflexion à partir de ses objets, de ses problèmes et de ses méthodes. Parfois, l’approche transdisciplinaire cherche même à abolir des frontières préjudiciables, par exemple un enseignement « Sciences de la matière » est proposé intégralement co-construit par les profs de physique- chimie et SVT.
– Des ateliers culturels et éducatifs (archéologie, théâtre, cinéma du réel, arts plastique, photographie, recherche en mathématique et art sonore), animés par des partenaires associés non issus de l’Education Nationale, qui tentent d’explorer des voies créatives dans des domaines non scolaires où nos élèves n’ont pas accumulé de contentieux, de faire naître une curiosité active pour des univers singuliers, de réaliser qu’apprendre excède le seul champs scolaire, d’intégrer la durée d’élaboration dans le processus créatif (échapper au mirage de l’immédiateté) et de vivre l’expérience fondatrice : penser, réaliser collectivement une œuvre montrable en fin d’année à un large public.
– Un service enseignant repensé qui équilibre l’enseignement et l’éducatif, l’approche individualisée (tutorat/ Etudes/ TD) et l’accompagnement de collectifs (Groupes de base/ Ateliers culturels), l’ici (concertation d’équipes/ tâches administratives/ dossiers spécifiques) et l’ailleurs (essaimage : formations/ publications/ participation à des colloques).
– Des modules propédeutiques : obligatoires et préalables à l’accès à une classe proprement dite (3ème/ Seconde/ Première). Ils sont proposés aux nouveaux arrivants afin qu’ils s’approprient à leurs rythmes, les règles du jeu scolaire et les enjeux de l’école. (présence minimum en module : 6 semaines/ présence maximum : 1 an).
– Des groupes de base (privilégiant la mixité : âges, sexes, niveaux scolaires, histoires personnelles, origines sociales) qui visent la construction d’une collégialité. Inscrits dans l’emploi du temps (1 heure par semaine) et obligatoires, ils constituent des espaces de régulation, de prises d’initiatives, d’accès à des décisions. Ils affirment par leur fonctionnement (ordre du jour co-écrit par les profs et les élèves/ respect/ écoute véritable) que la citoyenneté ne s’enseigne pas, que l’autonomie ne se décrète pas…. Elles s’exercent dans un devenir, dans une démarche qui s’engendre elle-même en appelant de nouveaux approfondissements.
– Une initiation à la philosophie à tous les étages qui propose, avant et même bien avant la classe terminale, une invitation à un questionnement philosophique et à une pratique du débat argumenté permettant à chacun de construire des points de vue problématisés sans s’obnubiler sur les performances exigées au baccalauréat.
– Des boutiques d’écritures obligatoires qui désirent « travailler » le rapport problématique de la plupart des élèves à l’écrit en déscolarisant son approche. Il s’agit pour l’élève, à raison d’une heure par semaine, d’y pratiquer une écriture ludique et sous contrainte. Un des enjeux est de favoriser l’accès à sa propre créativité tout en se confrontant à des exigences d’ordre formel et/ou thématique. La production individuelle peut être lue à voix haute en fin de séance par celui ou celle qui le souhaite et l’ose. Autant de gages d’une « réussite » soulageant d’un coup des passifs existants chez nombre de ces « blessés du système » en butte aux écrits scolaires normés, jugés stériles ou autoritaires. Ce détour doit faciliter un retour à l’écrit scolaire plus confiant, mieux armé, moins fâché.
– Un Conseil scientifique qui s’arroge le droit d’être un « tiers troublant ». L’expérimentation ne s’effectuant pas en apesanteur par rapport au réel extérieur, le CLEPT s’appuie, depuis son origine sur l’expertise d’un Conseil composé d’universitaires et de chercheurs du CNRS aux regards critiques complémentaires.
Porté initialement (de 1996 à 2000) par l’association La Bouture qui fut pionnière en France sur le front du raccrochage scolaire [2]
, le CLEPT [3] s’inscrit avec profit dans un réseau/ vivier d’établissements désireux de faire brèche pour que vive l’égalité des chances : le Micro Lycée de Sénart (Académie de Créteil), le Lycée Intégral de Jean Lurçat, Paris 13ème… et peut être, demain, le Lycée des Possibles à Marseille.
Leur fond commun, au-delà des cousinages des pratiques, des publics spécifiques auxquels ils s’adressent, des alternatives exigeantes co-construites avec des décrocheurs « analyseurs du système scolaire », tient à une conviction partagée : « L’important n’est pas ce que l’on fait de l’homme, mais ce qu’il fait de ce que l’on a fait de lui » Jean Paul Sartre.
Notes
[1] Elitaire s’oppose à élitiste en ce qu’il ne vise pas la sélection de privilégiés, mais appuyé sur le postulat de l’éducabilité de tous, il affirme l’exigence intellectuelle, culturelle et scolaire que chacun peut revendiquer.
[2] La Bouture : Association de lutte contre le décrochage scolaire (loi 1901). Est née à Grenoble en 1996 comme outil logistique de la préfiguration du CLEPT.
Elle a à son actif – en dehors de ses activités militantes ordinaires et locales d’accueil et d’intervention auprès des familles, des jeunes, des collectivités locales, des acteurs de l’Education Nationale – l’organisation de 2 colloques : Lyon, 1998 sur le décrochage / Grenoble, 2003 sur le raccrochage ; la publication d’un livre à la Chronique Sociale : les lycéens décrocheurs ; la réalisation d’un film : paroles de décrocheurs.
Téléphone : 04.76.17.09.46
Adresse : 11, cours Jean Jaurès 38 000 Grenoble
Mail : la-bouture@wanadoo.fr
[3] Le CLEPT : Rattaché au lycée E Mounier de Grenoble, il bénéficie depuis sa création du soutien actif de la Ville de Grenoble ainsi que du Fonds Social Européen