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« Le chantier de la parité n’est pas terminé »

Entretien avec Mathilde Dubesset
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Mathilde Dubesset, historienne et présidente de l’Observatoire Isérois de la Parité, analyse les effets engendrés par la loi du 6 juin 2000 et dresse un état des lieux de la situation en France. Loin d’être pessimiste, elle estime toutefois qu’il reste un travail important à réaliser, y compris dans les sphères non-politiques.

Mathilde Dubesset est enseignante et maîtresse de conférence à l’IEP de Grenoble. Elle est également historienne et présidente de l’Observatoire Isérois de la Parité.

En quoi la loi sur la parité fut un bouleversement majeur ?
Mathilde Dubesset - Ce fut un grand changement. Je ne parlerais pas de bouleversement mais de changement majeur. La loi fut un moyen concret de débloquer la situation en France, qui est en retard par rapport à ses voisins européens. Par exemple, il y avait le même nombre de femmes députés en 1995 et en 1946. La mobilisation pour la parité et la loi ont amorcé la féminisation de la sphère politique. D’autres pays avaient eu recours plus tôt à d’autres moyens, avec notamment une pression interne dans les partis politiques.

N’y avait t-il pas des moyens non législatifs pour parvenir à la parité ?
MD - Il y avait une forte controverse dans les années 90. Certains étaient vraiment hostiles à la loi et avaient confiance en la politique pour que les choses avancent. Sauf que les pro-lois ne voyaient pas un signe clair et de volontarisme pour débloquer la situation. Au final, on n’avait pas d’autre alternative en France que celui de la loi. Elle a joué un rôle concret dans le processus de féminisation de la sphère politique et a permis de mettre sur la place publique l’absence massive des femmes dans les hauts lieux de décision. En somme, elle fut le déclencheur d’un changement et a permis une forme de rattrapage de la France vis-à-vis de ses voisins.

Comment fut accueillie la loi ? Fut-elle réellement appliquée ?
MD - Appliquée, je dirais oui et non. Elle le fut au niveau des scrutins de liste. On a voulu une parité numérique pour les municipales de 2001. Sauf qu’en 2001, il n’existait pas de disposition pour vérifier que cette parité s’applique aux exécutifs. Les adjoints étaient encore majoritairement des hommes. Il a fallu affiner la loi à nouveau. Avec le dispositif « Un homme, une femme » en alternance sur la liste, on progresse vers la parité dans les exécutifs. Ce fut le cas notamment pour les municipales de 2008. Mais au final, la loi n’a pas forcément été assez contraignante. Elle a été respectée par les petits partis qui voulaient éviter la pénalisation financière qui sanctionne le non-respect de la loi. Elle a plutôt bien marché pour les scrutins municipaux, régionaux. Mais elle était difficile à mettre en œuvre pour les scrutins nationaux.

Mais la loi a tout de même bousculé les partis politiques.…
MD - Oui, c’est vrai. Mais, on reste quand même loin de la parité dans les résultats. Je prends l’exemple des conseils généraux. Il y a seulement 4 femmes présidentes de conseil général. En Isère, il y a seulement cinq femmes sur 58 conseillers départementaux. Il n’y a aucune femme parmi les 10 nouveaux élus de 2008. Il faut signaler quand même que c’est un scrutin peu favorable aux femmes car la notabilité compte beaucoup. De même, la question de la parité se pose pour les structures intercommunales, comme la Métro à Grenoble. Sur les 68 élus de la Métro, il y a seulement 10 femmes. C’est assez modeste. Mais je ne suis pas parmi les plus pessimistes. Un mécanisme s’est enclenché. On va vers une obligation de féminiser même s’il existe encore des barrières objectives.

Ces barrières peuvent-elles encore tomber ?
MD - La barrière juridique est tombée. Le verrou idéologique est quasiment parti. Mais en tant qu’historienne, je dois constater que la loi est une chose, mais les pratiques et comportements bougent lentement. L’idée que les femmes ne sont pas légitimes et compétentes commence à tomber. Certaines femmes politiques ont maintenant légitimé leur place et le discours de l’incompétence ne tient plus. De plus, les nouvelles générations semblent plus ouvertes à voir des femmes dans les très hauts postes. C’est une révolution de ce point de vue. Le gros problème vient des habitudes du monde politique Le sortants, principalement masculins, ont du mal à laisser leur place. On en vient donc au cumul des mandats qui est une barrière très forte face à la parité. C’est un mal français, qui est limité dans les autres pays. Il faut limiter ce cumul qui est une composante importante du débat sur la parité. Autre limite : les hésitations des femmes elles-mêmes. On a minimisé cet aspect mais des femmes qui ont plein de ressources pour se lancer en politique hésitent. Ce sont à la fois des barrières mentales mais aussi des contraintes objectives. Par exemple, une femme jeune, avec enfants et ayant une activité professionnelle peut renoncer, faute de temps. Il y a également ce sentiment d’incompétence que les femmes peuvent avoir par la socialisation des petites filles. Ce n’est pas une règle générale mais des générations de femmes se demandent si elles peuvent être compétentes. Mais cela bouge vite avec les nouvelles générations, qui ont moins de réticences à s’engager. En plus, il y a désormais des modèles de femmes politiques.


Ne faut-il pas aussi modifier toute l’approche médiatique et sémantique ?

MD - Il y a en effet encore beaucoup de travail à ce niveau-là. Plus le poste est important, plus il est difficile d’imaginer dans les discours des femmes totalement légitimes. Par exemple, je suis très attachée à la question du vocabulaire. Il y a 15 ans, les femmes refusaient de féminiser leurs titres. Elles se disaient « directeur de recherche au CNRS » et non « directrice ». Il est intéressant de noter que plus on monte dans la hiérarchie, plus on accède à un titre masculin. Aujourd’hui, la féminisation du titre est plus simple. Et ça, c’est aussi grâce à la loi. Quand on féminise, on dévaluait le titre. Je pense que cela a du sens. On installe la légitimité des femmes à être là et à ne pas se cacher derrière un paravent masculin.

« La loi a obligé à réfléchir à la parité ailleurs qu’en politique »

Existe-t-il toujours des réticences au principe de parité ?
MD - Le principe n’est pas remis en cause. Le risque de communautarisme qui était évoqué a disparu. Comme dit Geneviève Fraisse : théoriquement, cela peut se discuter, politiquement, c’est indispensable. Toutefois, certains effets du processus sont à corriger. On a vu apparaître des dormes de dépendances des femmes politiques vis-à-vis des hommes. Déjà, on a privilégié des femmes peu expérimentées. On évitait de recruter des militantes actives et pouvant tenir tête aux responsables masculins. Il y a une forme de loyauté forcée pour ces femmes. C’est le cas avec le gouvernement Fillon. On a une série de jeunes ministres mais qui ont une dépendance forte au Premier Ministre et surtout au Président. Cette forme de dépendance est moins marquée chez les hommes. Cet effet de dépendance est une combinaison du processus de parité articulé sur la démocratie présidentielle. Par ailleurs, une des craintes majeures a été balayée : celui du fantasme d’une assemblée bisexuée. Les femmes ne défendent pas que les intérêts des femmes. Elles sont des élues du peuple.

Au-delà de la sphère politique : quelle est la situation pour la parité ?
MD - La loi a obligé à réfléchir à la parité ailleurs qu’en politique. Il y a une féminisation dans tous les lieux de décision. On a plus de directrices de recherche au CNRS, plus de présidentes d’université. Dans le monde de l’entreprise, des réflexions sont apparues pour faire apparaître plus de mixité, et notamment dans les conseils d’administration. La « culture de la parité » (Geneviève Fraisse) s’est répandue. Dans le fonctionnement de nos sociétés, on voit des choses évoluer même si cela reste modeste. Il ne faut pas oublier que le profil du pauvre aujourd’hui est la caissière de supermarché. Les conditions les plus fragiles sont occupées par des femmes : le temps partiel est souvent féminin. On voit aussi actuellement des régressions dans la façon dont les femmes sont traitées : explosion des réseaux de prostitution et de traite qui sont des formes d’esclavage. Il y a aussi des formes de violences assez banalisées dans les collèges et lycées. même s’il ne faut pas généraliser. Cette violence verbale et physique est d’ailleurs surprenante. Des jeunes garçons interviewés disent qu’une fille ne vaut pas un garçon… Mais il y a aussi des progrès. Pour se raccrocher à l’actualité, il y a eu un petit scandale durant le mouvement de contestation des universités. Un responsable de l’AERS, a dit en réunion qu’il n’était pas étonnant que les femmes ne soient pas là, trop occupées avec leurs familles. Ce qui est intéressant, c’est que cela a fait un scandale aujourd’hui. Il y a 15 ans, je ne suis pas certaine que cela aurait été le cas. En soi, on ne laisse plus passer des propos qui étaient banals il n’y a pas si longtemps.
Les choses évoluent : il ne faut pas faire de misérabilisme. Mais pas d’angélisme non plus. Le chantier n’est pas terminé.

Comment alors passer à une étape supérieure ?
MD - Il faut continuer de passer par la loi. Renforçons à la place les acquis de la loi de 2000, par des nouveaux dispositifs. On peut trouver des nouvelles contraintes juridiques je pense, là ou les contraintes sont légères. Il faut également plus de femmes dans les partis politiques. Il faut s’attaquer au cumul des mandats. Il faut également instaurer l’habitude de la mixité partout en masculinisant des milieux féminins. Cela me parait important. Il faut que les femmes « arrivent à » mais aussi que les hommes « viennent dans ».

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