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De l’inappétence au décrochage : quel processus ? Que proposer en amont et en aval ?

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« L’inappétence » : une préoccupation montante dans le champ de la formation continue des enseignants en France.

La demande de formation continue émanant des équipes d’enseignants a très nettement évolué ces quinze dernières années : elle s’est de plus en plus orientée vers une aide pour comprendre et à faire face à ce qui est communément désigné comme une « démotivation croissante » de leurs élèves.
Cette nouvelle demande a d’abord émanée essentiellement d’équipes de lycées professionnels préoccupées par l’échec scolaire ; puis, elle s’élargit aux équipes de collèges en zone dite difficile dont la préoccupation était voisine de celle des lycées professionnels, enfin les ont rejointes des équipes d’enseignants de classe de seconde de lycées généraux ou techniques.

Démotivation, démobilisation, inappétence, tous ces mots fleurissent abondamment tant dans les salles de professeurs que dans les ouvrages de spécialistes pour caractériser la génération actuelle des collégiens et lycéens.
Nous creuserons ici le terme d’inappétence et ses liens avec le décrochage scolaire.

I/ Inappétence : définition et contexte

A) Inappétence : de quoi parle-t-on ?

1) De la définition du mot à ses usages au sein de l’Institution « Education Nationale »
Appetentia : désir
Appétit de savoir : savoir venant de saveur, manifester de l’appétence serait donc désirer « goûter » les saveurs de la connaissance ?
Appétence : tendance de l’être à satisfaire ses penchants naturels

Manifester à l’école une curiosité active qui satisfait le professeur, est-ce un « penchant naturel ? »
Pourquoi privilégions-nous la question de l’inappétence plutôt que celle de l’ennui ?

Questionner l’ennui suscite de vives réactions, probablement parce qu’implicitement l’ennui est imputable au « prof ennuyeux » tandis que l’inappétence n’incombe qu’à l’élève. L’implicite ici serait celui du caractère quasi inné de cette inappétence.

2) Inappétence innée ou inappétence acquise ?

Qu’en est-il des élèves lorsqu’ils arrivent, en classe de seconde ?
_ Un résultat d’enquête portant sur 250 élèves entrant en classe de seconde en septembre 2001 dans un lycée général et technique de la banlieue de Grenoble montre qu’à la rentrée :
 ils abordent l’année avec détermination pour 122 d’entre eux, 118 avec curiosité, 108 avec satisfaction.
 ils imaginent cette classe de seconde…Enrichissante, difficile, utile avec des apprentissages plus approfondis, plus de liberté, plus d’autonomie qu’au collège.
Deux mois plus tard, à 15 jours du premier conseil de classe, la coloration générale a très nettement évolué :
 ils étaient 118 à avoir coché « curiosité », ils ne sont plus que 60 ; ils étaient 108 à avoir coché « satisfaction » ils ne sont plus que 56 ! !
 en revanche le score du stress, de l’inquiétude et de l’angoisse a augmenté d’environ 30 %

Par ailleurs les réponses massives obtenues par la consultation nationale des lycées organisée par le Ministre de l’Education Nationale au printemps 1998 montrent :

1) par le sérieux des réponses et leur quantité impressionnante, que les lycéens sont intéressés par la question de leurs apprentissages scolaires
2) que 27 % des lycéens demandent davantage de culture générale et 27 % un apprentissage dans les domaines dits « artistiques », et ceci particulièrement dans les lycées professionnels.
Tout ceci témoigne de cette curiosité intime fondatrice de l’appétence.

3) Phénomène nouveau ou préoccupation nouvelle ?

Peu d’entre nous, plongeant dans leurs souvenirs scolaires, échapperaient au souvenir de l’Ennui et des stratégies d’évitement, le « faire semblant » développé pour échapper au jugement désapprobateur.
Avant, le défi démocratique de l’école passait par la nécessité d’accueillir de plus en plus de jeunes. Aujourd’hui, il s’agit de les garder ! !
Peut-être que ce qui a changé réellement est plutôt à chercher du côté du « Faire semblant » ?

B) Dans quel contexte ce questionnement sur l’inappétence se développe-t-il ?

1) Démographication scolaire et arrivée des « nouveaux lycéens »

François Dubet a bien décrit cette évolution du public lycéen mais la présence de ces « nouveaux lycéens », nouveaux en ce sens qu’ils sont les premiers dans leur histoire familiale à accéder à ce statut scolaire, est-il un problème en soi ou pose-t-il le problème de l’absence de « nouveau lycée » pour les accueillir ?
Un nouveau lycée qui ne pratiquerait pas le « double bind » auxquels sont soumis ces « nouveaux lycéens » : on les a incités à fréquenter le lycée et à y réussir (effet de la démocratisation proclamée) mais du même coup, s’ils y sont en échec, ils le vivent comme une indignité personnelle dont ils sont seuls responsables.

2) Promotion sociale et école : l’ascenseur est en panne

Faut-il expliquer la désaffection scolaire actuelle par une perte de confiance dans l’utilité de l’école qui n’offre plus la garantie d’obtenir une meilleure situation sociale que celle de ses parents ?
Méfions-nous des conclusions trop hâtives ; les jeunes savent fort bien ce que les statistiques de l’INSEE [Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques] et de la DPD [Direction de la Programmation et du Développement] montrent, à savoir qu’un bachelier est mieux armé contre l’exclusion qu’un non bachelier et ils l’expriment sans ambiguïté : « avec le bac t’as rien mais sans le bac t’es rien ».

3) Zapping culturel et consumérisme scolaire.

Que désignons-nous par ces formules choc ?
Un remake du « le niveau baisse et les jeunes ne veulent plus rien » ?
Ou bien ce que dénoncent de nombreux chercheurs en Sciences de l’Education sous des appellations variées. Ainsi Philippe Meirieu parle de : « marchandisation des savoirs » ceux-ci étant « les objets du marché dans une pédagogie bancaire » ; les savoirs, ajoute-t-il, « on les donne, l’élève les rend, on évalue l’écart entre le donné et le rendu ».
C’est ainsi que ces savoirs se sont effondrés dans leur signification propre.
A la question « qu’est-ce que les maths ? » un élève de 3e a répondu à Philippe Meirieu : « quelque chose inventé par les profs de maths pour savoir si je peux passer en seconde ».

Si les élèves aujourd’hui demandent davantage de culture générale à l’évidence il ne s’agit pas du consumérisme annoncé mais bien du désir de mettre du sens dans ce qu’ils apprennent et dans l’intelligibilité du monde environnant.

4) Allongement du temps scolaire de l’adolescence à « l’adultescence ».

Avec l’objectif « 80% d’une classe d’âge au bac » (objectif loin d’être atteint) la durée scolaire s’est notablement allongée et parallèlement les jeunes se sont mis à vivre, en dehors des murs du lycée, une vie d’adulte tant sur le plan affectif et sexuel que sur le plan économique et matériel (nombre d’entre eux exercent des « petits boulots » - voir les travaux de Robert Ballion-), assumant bien souvent tâches domestiques, démarches administratives, vie de couple, etc...

Si nous nous sommes attardés à questionner un peu ces éléments du contexte, c’est pour souligner le danger qu’il y aurait à établir sans vérification préalable des corrélations systématiques avec le problème qui nous occupe ici : celui de l’inappétence. Par ailleurs, si de telles corrélations sont à établir, elles n’en sont pas forcément, pour autant, des corrélations causales !!
Là aussi, des études sont nécessaires pour éviter la mise en cause exclusive de données sociétales contre lesquelles notre Institution serait impuissante et qui la dédouanent.
Evitons ce qui se passe encore aujourd’hui dans de nombreuses recherches à propos de l’échec scolaire où sont étudiées quasi exclusivement des causes en extériorité aux situations d’apprentissage.
Ainsi, sont, à ce jour, très sous-estimés les effets dévastateurs de la non prise en compte des pratiques culturelles et sociales d’une partie des jeunes auxquels les enseignants s’adressent.
Si nous n’allons pas « les chercher là où ils sont », ils continueront de saturer l’image dont ils se sentent définitivement affublés par l’Ecole - celle du nul du fond de la classe -, justifiant les verdicts scolaires dont ils sont l’objet.

II/ Comprendre les processus à l’œuvre en partant de la paroles des décrocheurs.

_ Il s’agit ici de tenter de mettre en lumière ce qui, au sein de l’Ecole, nourrit ou favorise les processus si souvent dénoncés de démotivation, démobilisation, désimplication, désaffection, décrochage.
« Le pathologique éclaire le normal », nous dit Edgar Morin. C’est pourquoi l’étude des processus de décrochage peut éclairer l’ensemble des notions énumérées ci-avant et marquées par leur préfixe « dé ».

A) Une enquête de terrain

Une enquête qualitative a été réalisée il y a une dizaine d’années auprès d’une vingtaine de jeunes ayant décroché de lycées variés.

1) Qui sont les jeunes interviewés ?

2) Le cadre général de nos hypothèses de travail a été validé par les propos tenus.
Ces entretiens permettent d’affirmer que le plus souvent les processus de décrochage s’enclenchent à partir d’une accumulation de difficultés :
difficultés rencontrées avec les enseignants, avec les disciplines enseignées, au sein de ce qui tisse la vie du lycéen, avec l’encadrement administratif et la vie scolaire, au cours des procédures d’orientation et enfin avec leur famille.
S’instaure alors une perte insidieuse de l’estime de soi. Parallèlement l’ennui gagne, générateur de la perte de sens. Puis l’indifférence prend bientôt toute la place jusqu’à l’instauration d’un sentiment de non appartenance.

Par ailleurs, la plupart des interviewés font remonter le début de leurs « problèmes » au collège et bien souvent c’est la classe de 4e qui est évoquée.
Si toutes les matières sont citées par au moins un des jeunes interrogés, les mathématiques sont toutes _ premières au hit parade des « bêtes noires » puisque sur 21 réponses 11 pointent cette discipline comme étant « incompréhensible, insurmontable, très difficile… »
Le moment de l’année où s’opère le décrochage est assez ciblé : 13 jeunes sur 21 ont décroché entre la fin du mois de Janvier et la mi-Avril : deuxième trimestre fatidique ! ! !
Le « coup de rétroviseur »que ces entretiens permettent, amènent 15 d ‘entre eux à exprimer le regret d’avoir pris cette décision.
(La question qui les amena à aborder ce sujet fut délibérément « décentrée » :
« Aujourd’hui, avec le recul, si vous deviez donner un conseil à un lycéen qui rencontre des difficultés similaires à celles qui furent les vôtres, que lui diriez-vous avant qu’il ne soit totalement découragé ? »)

Enfin, au moins la moitié d’entre eux saisissent l’occasion d’exprimer un fort sentiment d’injustice éprouvé à l’occasion soit d’une situation de « sanction administrative », soit par la notation d’un travail, soit par le comportement désobligeant d’un enseignant, soit par la méconnaissance des règles implicites, en particulier au cours des procédures d’orientation.

Conclusion
A la lumière de cette étude, mais également des travaux issus des stages réalisés avec des enseignants de seconde et bien entendu en s’appuyant sur les travaux de chercheurs comme ceux de l’équipe Escol [Education, socialisation et collectivités locales] de l’Université Paris VIII et d’équipes Québécoises, il apparaît que le processus étudié s’inscrit dans un continuum dont toutes les facettes ne sont pas aisément détectables par les acteurs de l’établissement scolaire et, du coup, quand il est repérable et donc souvent repéré, il est trop tard pour l’enrayer efficacement.

Une évolution progressive dont les premières étapes sont peu visibles

B) Une expérience très éclairante : la F.R.A.Q

1) Un dispositif expérimental né en 1987 en région Rhône-Alpes

Voulue par les politiques du conseil régional, la Formation Rhône-Alpes de Qualification fut pensée à l’origine comme un « SAS » à la disposition de jeunes en voie de marginalisation, perçus comme inconfortables dans et pour l’institution scolaire (lycées professionnels), susceptibles de quitter l’école sans qualification.
Ce dispositif expérimental spécifique, affichait dans son cahier des charges un objectif général - « prévenir les difficultés d’insertion sociale et professionnelle d’élèves en très grande difficulté » - et préconisait comme outil stratégique l’alternance école / entreprise.
En octobre 1987 8 sites ouvrirent dans l’académie de Grenoble, chacun piloté par un enseignant coordonnateur. Le défi était stimulant : inventer un lieu éducatif suffisamment ferme pour que des jeunes déstructurés s’y sentent aidés, soutenus, accompagnés et suffisamment ouvert pour que leurs aspirations, leurs revendications puissent s’exprimer et leurs besoins s’identifier.
Le rôle des coordonnateurs fut d’animer l’action, d’assurer les liaisons avec les familles, les entreprises, les partenaires extérieurs et, surtout, de coordonner l’équipe éducative volontaire.

2) Une mise en œuvre élargissant les objectifs assignés

Empêcher les sorties prématurées d’élèves en difficulté et difficiles, les doter d’un viatique minimum (contrat de qualification ou contrat d’apprentissage),ne constituait pas en soi un objectif exaltant de nature à nourrir l’engagement de ses acteurs…Aussi, très vite, ils s’attachèrent à :
  identifier des démarches pédagogiques plus concrètes
  utiliser des méthodes soucieuses de placer l’élève en situation de réussite
  privilégier une approche très individualisée
  introduire de la souplesse et de la transversalité là où dominaient les étanchéités
  collaborer avec des partenaires périphériques ; travailleurs sociaux, chambre des métiers, missions locales
L’ensemble de cette démarche était mise principalement au service d’une réinsertion scolaire choisie par un jeune qui n’avait connu jusqu’alors que des orientations subies.

Le public des FRAQ était issus de 4e et 3e préparatoires, de 4e technologiques et en nombre moins important de CPPN, de CPA, et même de BEP. La majorité avait dépassé l’âge de l’obligation scolaire (16 ans) mais, quels que soient leurs itinéraires précédents particuliers, la FRAQ accueillait un groupe homogène quant aux caractéristiques suivantes :
  Ils ne « voulaient » (« pouvaient » est démenti par le principe d’éducabilité cognitive) rien savoir, au sens littéral de l’expression, en tout cas rien savoir de ce qu’on prétendait leur inculquer.
  Ils résistaient à l’identité scolaire normative qu’on leur imposait.
  L’école était devenue pour eux le lieu du non-apprendre.
  Ils pensaient que LEP était le début de LEProserie et affirmaient : « si on échoue ici, c’est pas pour y réussir ! »
  Ils se méfiaient des dispositifs de remédiation, les soupçonnant immédiatement de relégation, intuitivement conscients du fait que la norme scolaire ne cesse de légitimer un modèle dominant de savoir et de contenus culturels labellisés transformant toute différence en handicap.

Jeunes en rupture d’avenir, hostiles et vulnérables lorsqu’ils sont confrontés aux exigences de l’enseignement traditionnel, souvent sans repères, toujours exclus des voies royales, ils investissaient tout « naturellement » le rôle de « refusos », « indécrottable, incorrigible »,au sein de l’institution scolaire. _ Certains même n’attendaient que de donner raison au verdict des politiques du Conseil régional : « il s’agit de jeunes en voie de marginalisation aspirés par le vertige de la petite délinquance ».

3) Des résultats dérangeants mais prometteurs

Ces refusos
  spécialistes de la désillusion
  cicatrisés de souffrances scolaires (défaite / noyade / mépris)
  privés aujourd’hui des chemins buissonniers qui hier étaient susceptibles d’infirmer les verdicts scolaires,
  prompts à délégitimer un circuit scolaire qu’ils s’apprêtent à quitter parce qu’ils ont appris à leurs dépens qu’ils ne peuvent rien en attendre

se révélèrent étonnamment disponibles, sous certains condition car la méfiance leur est constitutive.
Les résultats de l’évaluation concernant les 189 « réfractaires » bénéficiaires du dispositif montrent qu’au bout d’un an d’un tel accompagnement éducatif, 131 ont choisi de regagner une section de lycée – et ils pouvaient vraiment y prétendre – 40 ont désiré signer le contrat d’apprentissage proposé par un employeur, 4 ont été admis dans des établissements spécialisés, 8 ont trouvé un emploi. Six n’ont vu s’offrir comme perspective que le suivi de stages d’insertion à la vie professionnelle.

C’est parce que l’ensemble des acteurs de la FRAQ partageait une double certitude - la capacité de réussir existe chez tous et l’exigence est la forme la plus aboutie du respect de l’autre – que les symptômes marquant les jeunes qui entraient en FRAQ ont progressivement disparu :
  difficulté de communication, de relation avec les membres de la communauté scolaire
  manque de motivation, de concentration, d’autonomie
  absentéisme, somatisation, apathie, agressivité
  absence de perspectives, de projet personnel
  bases lacunaires, mémorisation défaillante
  incapacité à respecter les règles, à s’organiser.

Le chemin parcouru par ces « refusos » couturés de cicatrices, permit de vérifier l’existence de leur « Désir d’Ecole » masqué, jusqu’alors, par le refus, investi comme une bouée.

III/ Que faire pour endiguer le décrochage scolaire ?

A/ En amont, pour prévenir le décrochage

1) Une nécessité : rendre le jeune « acteur de ses apprentissages »

Etre acteur c’est, en fait, être associé d’une façon non formelle ; c’est être l’objet d’une considération, preuve concrète qu’il est possible de prendre des initiatives en toute sécurité.

Un des résultats frappant de l’enquête nationale commandée par le Ministère de l’Education Nationale à la fin des années 90 et organisée par Philippe Meirieu porte sur la volonté d’être respecté qu‘exprime une grande majorité de lycéens ; résultat corroboré par l’enquête rendue publique quelques semaines plus tard, réalisée par l’Inspection Générale, et chiffrant à seulement 15 % la proportion de lycéens qui se sentent respectés par tous leurs enseignants ! ! !
Or, si la considération fait défaut, le déni n’est pas loin et la pente des « conduites à risques » peut alors s’amorcer avec d’un côté le glissement du défi au délit et de l’autre celui du repli à l’exit.

Développer des stratégies pour rendre l’élève acteur de ses apprentissages c’est :
- Favoriser l’évaluation au détriment de la seule notation, et par là l’aider à développer une attitude d’apprenant plutôt que de stratège (travailler pour apprendre, pas pour passer).(Voir le travail de l’équipe ESCOL sur le rapport au savoir).
- Prendre du recul par rapport à cet « allant de soi » qui voudrait que toute activité rende l’élève acteur.
- Accompagner l’émergence d’un projet de vie et non pas conditionner toute orientation à un étroit projet professionnel. Cet accompagnement se réalisant au sein d’un groupe de pairs qui construisent ensemble des repères, des solidarités,

2) Mobiliser toute la communauté éducative

a) Mettre en évidence l’importance de pratiques pour que les signes, les facteurs de décrochage puissent s’exprimer en classe en évitant de culpabiliser.
  Pour cela, créer des espaces de paroles où les difficultés puissent être évoquées et des remédiations recherchées avec l’élève
  Relativiser le « temps perdu », le retard pris dans les programmes à cause des absences de l’élève : éviter de les présenter comme facteurs irrémédiables d’échec à venir, de réorientation, de redoublement

b) Attirer l’attention sur le double sens de l’ennui : si le bon est propice à la création et à l’esprit critique, le mauvais signifie la haine de soi , in odio est : le corps exprime l’insupportable de situations vécues en classe : position assise etc ….. donc casse toute persévérance

c) Eviter de « faire semblant » (d’être dans le formel) en confondant
  l’exercice d’une activité avec la réalisation d’un apprentissage
  présence et assiduité
  silence et écoute
  docilité et adhésion

d) Insister sur la nécessité d’appréhender le décrochage comme expression d’un refus d’un rapport de « domination maître discipline », donc ne pas croire que la docilité est signe d’adhésion et d’appétence, elle peut au contraire être signe de décrochage.

e) Insister sur la nécessité d’appréhender « l’élève décrochant » comme un analyseur de nos pratiques. Il faut le considérer comme victime du système et non comme coupable de trahison vis-à-vis des efforts des profs et autres, coupable par son simple refus d’apprendre et son désintérêt.

f) Montrer que le couple - culpabilité échec personnel- conduit, alimente le déni de soi. Ce déni peut devenir le point de départ d’un processus de décrochage ou d’une spirale menant parfois à des conduites agressives.

g) Favoriser une culture d’équipe d’enseignants cherchant tous à :
 éviter l’occupationnel face à l’ennui mais contraire montrer de l’exigence. Ceci va à l’encontre de l’idée « d’adaptation », de light,…Il s’agit bien « d’élever » (en faire donc des élèves….)
 donner du sens à ce qui se passe en cours.
 réfléchir à la place du répétitif : il ne peut être une fin en soi, il faut mettre en évidence son utilité et sa source de plaisir ( ex : apprendre et déclamer un poème )

3) Repérer le décrochage : distinguer le quantitatif et le qualitatif

a) Le repérage quantitatif est souvent efficacement comptabilisé par les CPE quand l’élève donne à voir des signes manifestes d’un décrochage avéré donc déjà bien installé.
Si l’on peut repérer très tôt (jours et heures) les absences et autres, se pose la question du moment où dans l’année scolaire il faut leur accorder une importance primordiale : il faut prendre garde au risque de stigmatiser l’élève, en lui collant à la peau une étiquette démobilisatrice de décrocheur.
Il faut donc relativiser sans dénier leur importance les conséquences de signes de décrochage sur le cursus scolaire : prendre au sérieux mais pas au tragique.

b) Le repérage qualitatif nécessite une grande vigilance sur les « ruses » mises en place par les élèves décrochant : absences, devoirs non remis mais objets de négociations sans fin, le repli progressif débouchant sur l’évitement de toute prise de risque écrite et orale dans le cadre de la classe.
Cette appréciation qualitative doit être réfléchie dans le cadre de l’équipe pédagogique : vérifier auprès des autres enseignants que les signes de décrochage se manifestent dans tous les cours (et pas uniquement dans ses propres cours) donc montrer l’importance d’une mutualisation, d’un croisement des regards, pour vérifier et relativiser son propre regard.

Les « symptômes » du décrochant doivent donc être pris pour ce qu’ils sont et non comme des fautes qu’il doit réparer : « ah, tu étais absent….et bien, tu n’as qu’as te débrouiller pour rattraper ».

4) Accompagner, le cas échéant, la rupture et la reprise de scolarité soit,

- aider l’élève à partir si c’est nécessaire et réfléchir aux aménagements qui dans l’institution lui permettront de revenir.
 du côté de l’équipe enseignante, relativiser le poids des programmes (distinguer utile de l’accessoire), réfléchir aux modalités de rattrapage de cours « perdus » et ,lors du retour, signifier à l’élève qu’il est attendu, qu’il en vaut la peine.
 du côté de l’enseignant avec le groupe classe, travailler collectivement sur le traitement à apporter à l’élève de retour : distinguer le juste et d’équitable traitement, développer des solidarités entre élèves.
 du côté de la communauté éducative, réfléchir aux modalités de l’accueil, écoute, prise en compte des difficultés et solution s à travailler.

B) En aval : partir du désir d’école et proposer un dispositif de raccrochage

Exemple : le Collège Lycée Elitaire Pour Tous de l’académie de Grenoble

Ce désir d’Ecole, enfoui mais extraordinairement vivace comme l’illustre l’expérience de la FRAQ, est le levier sur lequel le jeune va pouvoir re-construire un projet éducatif, mais, si et seulement si un équipe éducative l’accompagne dans cette démarche en mettant à sa disposition un établissement alternatif qui tient compte de son histoire particulière.

1) Proposer un établissement scolaire spécifique

Qui a fréquenté ces jeunes sait combien ils sont marqués par l’ambivalence, combien elle peut leur être constitutive. L’ambivalence marque leurs propos, leurs attitudes, leurs choix. Leur violent rejet de l’école est à la mesure de l’espoir qu’elle fit naître. Leur affirmation parfois radicalisée de singularité va de pair avec un profond souhait de reconnaissance comme « conforme .

Cette dualité rend compte de leur difficulté fondamentale à se fixer, à s’identifier : ils sont dans l’entre-deux, mais un entre-deux inconfortable, stigmatisé comme symptôme manifeste de handicap :
- adolescents ou « adultescents » entre deux âges
- enfants de divorcés entre deux parents
- « immigrés de la seconde génération », entre deux origines
- inadaptés ou insérés entre les deux rives (en dérive) de la réussite scolaire ou de l’insertion professionnelle et sociale
- velléitaires ou indécis entre deux projets
Ils sont donc experts pour débusquer l’entre-deux institutionnel :
 la proposition des missions locales : stages qualifiants ou occupationnels ?
 la proposition des lycées professionnels : autre voie d’excellence ou filière ségrégative ?
 la contractualisation : démarche pédagogique ou démagogique ?

Ils rêvent généralement d’un bac général car leurs histoires leur ont souvent permis de vérifier que ceux qui étaient promis à la voie royale de l’enseignement général n’étaient pas appareillés de projets et voyaient s’ouvrir devant eux un large éventail de possibles.

Souvent déstructurés (hors je), toujours exclus (hors jeu), les décrocheurs doivent se voir proposer une structure éducative capable d’inclure en jouant sur l’entre-deux. Cet entre-deux, jusqu’alors vécu comme écartèlement traumatique, comme partage déchirant, doit être ici rejoué comme passage re-constituant. C’est la fonction principale d’un module propédeutique sur lequel s’ouvre tout cursus suivi dans l’établissement.

2) Exploiter un sas d’entrée : le module propédeutique
Le module propédeutique constitue un lieu stratégique, « un entre-deux source potentielle d’impulsion [...] espace de mouvement dialectique ou les ambivalences apparaissent, se croisent, dans des situations vivantes, évolutives et restructurantes » .
Pour effectuer utilement ce déplacement du Déni (de l’exclusion) au Défi (d’un destin scolaire ouvert), le décrocheur doit trouver l’endroit, l’environnement qui rendront possible qu’il accepte de se révéler avec ses manques (baptisés « lacunes » dans ses bilans antérieurs). Alors, dynamisé par ses manques, il peut commencer à se projeter.

Les adultes ressources intervenant dans le module propédeutique accompagnent les jeunes en veillant à la cohérence des connexions, à la pertinence des relations, à l’intelligibilité des interactions, sur les chemins attractifs et rébarbatifs (l’ambivalence guette toujours) :
- du Savoir (du côté de la connaissance et de l’enseigner)
- du Savoir être (du côté des relations et de l’éduquer)
- du Savoir faire (du côté des compétences et du former)
- du Savoir défaire (du côté des savoirs écrans, des obstacles à l’apprentissage dont il faut se dégager).
Au sein du module se décantent peu à peu des groupes de besoins (déplacement symbolique essentiel pour ces jeunes qui connurent les méfaits des groupes de niveau entachés de mépris et de rejet de la différence), cultivant le cas échéant, les bienfaits du monitorat.

Conscients que, lors de cette étape décisive de ré accrochage, « Apprendre » redevient parfois une activité capricieuse et « Implication » ne se conjugue pas toujours avec les situations proposées, il faut veiller à doter ces groupes de besoins non seulement du plus, mais du mieux.

3) Initier une pratique réfléchie de l’accompagnement personnalisé
L’accompagnement personnalisé de l’adolescent/ adultescent en projet est le « fil vert » qui, traversant son parcours scolaire, construit un sens à son parcours de vie et autorise l’espoir dans un futur anticipé et voulu.
Cet accompagnement peut s’organiser en trois temps :
- au cours du module propédeutique : temps de réconciliation avec l’institution scolaire. Même s’ils sont « volontaires » leur passif avec l’Ecole pèse lourd et de nombreuses preuves leurs sont nécessaires pour croire qu’effectivement cette Ecole leur fait une vraie place.
- au cours des années passées dans l’établissement : temps de formation et de maturation progressive d’un projet existentiel, tenant ensemble les dimensions sociales, culturelles, professionnelles, qui fondent un équilibre entre la vie personnelle et toutes les facettes de l’intégration citoyenne.
- pendant l’année qui suit : temps de transition vers une poursuite d’étude ou une entrée en formation plus ou moins professionnalisante.

Cet accompagnement se pratique selon deux modalités :

- une modalité collective : le groupe d’accompagnement de projet
Constitué d’une quinzaine de jeunes qui se rencontrent à échéance régulière, ce groupe permet à chaque participant qui le souhaite d’aborder librement tel ou tel aspect de son projet et de recevoir réponses et propositions des pairs qui assurent la fonction d’accompagnement au même titre que l’adulte « animateur ».
Lieu de distanciation, de verbalisation, de réflexion collective, il permet à chacun, dans un climat de respect mutuel et de solidarité, de mûrir son projet personnel. Tout ce qui peut se découvrir dans les temps d’enseignement, les temps d’atelier, les temps de stage, les temps spécifiques d’information et de recherche...est relu « en première personne » par les jeunes. Une réflexion régulière, dans un groupe stable et structuré, donne à chacun le temps de suivre son rythme et de mettre peu à peu clarté et sens dans son projet existentiel global.

- une modalité individuelle : l’entretien d’accompagnement :
Demandé par le jeune ou proposé par son référent, cet entretien, mené par l’adulte référent, permet, dans un climat de confiance, d’aborder des questions nouvelles.
A tout moment du parcours scolaire, la pratique d’accompagnement centrée sur l’évolution du jeune en formation, lui permet, en fin d’année, d’envisager librement de prendre une autre voie et de prendre à nouveau « un nouveau départ ».




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